Contexte historique de la chanson
"Hexagone" est l’une des premières chansons marquantes de Renaud, parue en 1975 sur son tout premier album. Elle apparaît dans une France encore marquée par les soubresauts de Mai 68, les crises pétrolières, la montée du chômage et les tensions sociales grandissantes. Le pays est alors dirigé par Valéry Giscard d’Estaing, dans une période d’instabilité où de nombreux Français oscillent entre désillusion et colère.
Dans ce climat tendu, la voix de Renaud émerge comme celle d’un jeune artiste insolent, impertinent mais lucide, qui n’hésite pas à mettre en lumière les contradictions de la société française.
À travers "Hexagone", il propose une critique radicale et frontale de la France et de ses travers. Le titre même — une allusion à la forme géographique du pays — annonce l’intention du chanteur : dresser un portrait acerbe de la nation et de ses habitants.
Renaud s’inscrit dans une tradition de chanson engagée, mais avec un style bien à lui, mêlant argot, ironie mordante et refus du politiquement correct. Le texte, à sa sortie, choque autant qu’il séduit. Il bouscule les conventions et donne une nouvelle voix à la jeunesse contestataire de l’époque. "Hexagone" devient ainsi un manifeste musical d’un ras-le-bol généralisé.
Critique sociale et politique dans Hexagone
Dans "Hexagone", Renaud s’attaque à de nombreux symboles de la société française avec une virulence rare. Il fustige tour à tour les commémorations militaires, l’hypocrisie des discours officiels, la consommation aveugle, le racisme ordinaire, l’individualisme croissant et l’inaction politique. Rien ni personne n’est épargné : ni les politiciens, ni les militaires, ni les Français eux-mêmes, décrits comme passifs et résignés.
Cette chanson est un coup de poing, une dénonciation directe des travers d’un pays qu’il aime malgré tout, mais qu’il ne peut s’empêcher de critiquer. Le texte se déploie en plusieurs tableaux, chacun centré sur un aspect de la société : le patriotisme vide de sens, le consumérisme de Noël, l’attentisme populaire, la bêtise médiatique. Renaud utilise un ton ironique, presque moqueur, pour faire passer des messages profonds.
Ce choix de style permet de créer une distance critique, tout en suscitant l’adhésion de ceux qui se reconnaissent dans ses constats. Ce n’est pas une chanson pessimiste, mais une chanson en colère, une chanson d’alerte. En remettant en question les fondements du "vivre ensemble" français, Renaud invite à une réflexion collective sur l’avenir du pays. "Hexagone" n’est pas un simple pamphlet : c’est un miroir tendu à la société.
Les succès de Renaud
Renaud a marqué de son empreinte la chanson française dès les années 1970. Son premier album, qui contient "Hexagone", l’impose rapidement comme une voix nouvelle, porteuse d’un regard original sur la société. Il se démarque par ses textes très écrits, son goût pour les personnages marginaux, son sens de l’observation et son langage familier qui le rend proche du peuple.
En quelques années, il devient un artiste majeur, enchaînant les succès avec des titres comme "Laisse béton", "Mistral gagnant", "Morgane de toi", ou encore "Dès que le vent soufflera". Sa carrière est jalonnée de chansons à la fois tendres et corrosives, intimes et universelles. Ce qui fait la force de Renaud, c’est sa capacité à dire les choses avec des mots simples mais chargés de sens.
Il parle des sans-grade, des exclus, des révoltés, mais aussi des souvenirs d’enfance, de l’amour, de la paternité. Il alterne entre révolte et mélancolie, entre dénonciation sociale et poésie du quotidien. Malgré des hauts et des bas personnels, il reste une figure incontournable de la musique francophone. "Hexagone" en est l’un des piliers fondateurs, la chanson qui a révélé au grand public un artiste profondément libre, engagé, et sincère dans ses colères comme dans ses émotions.
Interprétations des paroles
"Hexagone" a suscité, dès sa sortie, de nombreuses interprétations et débats. Certains y ont vu un pamphlet anti-français, un rejet de la nation et de ses valeurs. D’autres, au contraire, ont salué le courage d’un jeune chanteur qui ose dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. En réalité, la chanson s’inscrit dans une démarche d’amour exigeant : Renaud critique non pas par haine, mais parce qu’il espère mieux.
Il refuse l’aveuglement, le conformisme, l’acceptation passive d’une société qu’il juge injuste et hypocrite. Chaque couplet peut être lu comme une provocation, mais aussi comme une prise de conscience. En dénonçant le racisme, la bêtise médiatique ou la violence institutionnelle, Renaud invite à réfléchir, à contester, à s’engager.
Il ne propose pas de solutions, mais il pose des questions fondamentales. Pourquoi glorifie-t-on la guerre ? Pourquoi tolère-t-on l’injustice sociale ? Pourquoi reste-t-on immobile face à l’absurde ? Cette complexité du texte a fait de "Hexagone" une œuvre étudiée, analysée, discutée. Elle reste, encore aujourd’hui, d’une actualité troublante, tant ses constats résonnent avec les crises modernes.
Réception et héritage de Hexagone
La réception d’"Hexagone" fut contrastée à sa sortie, mais elle marque profondément le paysage musical français. La chanson est censurée sur plusieurs antennes, jugée trop provocatrice, notamment à cause de son traitement acerbe des institutions. Mais cette interdiction ne fait qu’amplifier sa notoriété. Le bouche-à-oreille fonctionne, et la chanson devient un symbole de contestation et de liberté d’expression.
Pour une grande partie du public, elle incarne une forme de vérité brute, que peu d’artistes osaient alors formuler aussi frontalement. Avec le temps, "Hexagone" est devenue une référence culturelle. Elle est souvent citée comme l’un des textes les plus marquants de la chanson francophone des années 1970. Elle inspire de nombreux artistes à oser une parole libre, à parler des vrais problèmes, à ne pas craindre d’être dérangeants. Dans les décennies qui ont suivi, Renaud a lui-même continué à incarner cette parole libre, oscillant entre chanson sociale et intime.
Mais "Hexagone" reste l’un des fondements de son œuvre, une chanson qui a ouvert la voie à une nouvelle manière de faire de la musique : engagée, impertinente, et profondément humaine. Aujourd’hui encore, elle est chantée, reprise, enseignée. Elle fait partie du patrimoine musical français, non comme une chanson consensuelle, mais comme un acte de parole, une œuvre qui dérange pour faire penser. Et en cela, elle n’a rien perdu de sa puissance.
Paroles
Ils s'embrassent au mois de Janvier
Car une nouvelle année commence
Mais depuis des éternités
L'a pas tell'ment changé la France
Passent les jours et les semaines
Y a qu'le décor qui évolue
La mentalité est la même
Tous des tocards, tous des faux culs
Ils sont pas lourds, en février
À se souvenir de Charonne
Des matraqueurs assermentés
Qui fignolèrent leur besogne
La France est un pays de flics
À tous les coins d'rue y'en a 100
Pour faire règner l'ordre public
Ils assassinent impunément
Quand on exécute au mois d'mars
De l'autr' côté des Pyrénées
Un arnachiste du pays basque
Pour lui apprendre à s'révolter
Ils crient, ils pleurent et ils s'indignent
De cette immonde mise à mort
Mais ils oublient qu'la guillotine
Chez nous aussi fonctionne encore
Etre né sous l'signe de l'hexagone
C'est pas c'qu'on fait d'mieux en c'moment
Et le roi des cons, sur son trône
J'parierai pas qu'il est all'mand
On leur a dit, au mois d'avril
À la télé, dans les journaux
De pas se découvrir d'un fil
Que l'printemps c'était pour bientôt
Les vieux principes du seizième siècle
Et les vieilles traditions débiles
Ils les appliquent tous à la lettre
Y m'font pitié ces imbéciles
Ils se souviennent, au mois de mai
D'un sang qui coula rouge et noir
D'une révolution manquée
Qui faillit renverser l'Histoire
J'me souviens surtout d'ces moutons
Effrayés par la Liberté
S'en allant voter par millions
Pour l'ordre et la sécurité
Ils commémorent au mois de juin
Un débarquement d'Normandie
Ils pensent au brave soldat ricain
Qu'est v'nu se faire tuer loin d'chez lui
Ils oublient qu'à l'abri des bombes
Les Francais criaient, 'Vive Pétain'
Qu'ils étaient bien planqués à Londres
Qu'y avait pas beaucoup d'Jean Moulin
Etre né sous l'signe de l'hexagone
C'est pas la gloire, en vérité
Et le roi des cons, sur son trône
Me dites pas qu'il est portugais
Ils font la fête au mois d'juillet
En souv'nir d'une révolution
Qui n'a jamais éliminé
La misère et l'exploitation
Ils s'abreuvent de bals populaires
D'feux d'artifice et de flonflons
Ils pensent oublier dans la bière
Qu'ils sont gourvernés comme des pions
Au mois d'août c'est la liberté
Après une longue année d'usine
Ils crient, "Vive les congés payés"
Ils oublient un peu la machine
En Espagne, en Grèce ou en France
Ils vont polluer toutes les plages
Et par leur unique présence
Abîmer tous les paysages
Lorsqu'en septembre on assassine
Un peuple et une liberté
Au cœur de l'Amérique latine
Ils sont pas nombreux à gueuler
Un ambassadeur se ramène
Bras ouverts il est accueilli
Le fascisme c'est la gangrène
À Santiago comme à Paris
Etre né sous l'signe de l'hexagone
C'est vraiment pas une sinécure
Et le roi des cons, sur son trône
Il est français, ça j'en suis sûr
Finies les vendanges en Octobre
Le raisin fermente en tonneaux
Ils sont très fiers de leurs vignobles
Leurs, 'Côtes-du-Rhône', et leurs, 'Bordeaux'
Ils exportent le sang de la terre
Un peu partout à l'étranger
Leur pinard et leur camenbert
C'est leur seule gloire à ces tarrés
En Novembre, au salon d'l'auto
Ils vont admirer par milliers
L'dernier modèle de chez Peugeot
Qu'ils pourront jamais se payer
La bagnole, la télé, l'tiercé
C'est l'opium du peuple de France
Lui supprimer c'est le tuer
C'est une drogue à accoutumance
En décembre c'est l'apothéose
La grande bouffe et les p'tits cadeaux
Ils sont toujours aussi moroses
Mais y a d'la joie dans les ghettos
La Terre peut s'arrêter d'tourner
Ils rat'ront pas leur réveillon
Moi j'voudrais tous les voir crever
È touffés de dinde aux marrons
Etre né sous l'signe de l'hexagone
On peut pas dire qu'ca soit bandant
Si l'roi des cons perdait son trône
Y aurait 50 millions de prétendants